Dans l'un de vos précédant « post » vous faite la différence entre les mouvements stratégiques et tactiques. Sur le principe je suis en total accord avec vous. Je crois toutefois que cette typologie telle que la définit Clausewitz (1780-1831) à l'issue des guerres napoléoniennes est encore trop réductrice au regard de la complexité de l'art de la guerre résultant de l’accroissement des effectifs.
Il me semble plus pertinent de distinguer trois niveaux d'analyse telles que les définit le stratégiste allemand Herbert Rosinski (1903-1969) ) à savoir :
- le niveau tactique
- le niveau « opératique »
- le niveau stratégique
Le niveau tactique c'est la bataille, c'est à dire les combats.
Le niveau opératique* représente la campagne c'est à dire les mouvements. A l'époque on employait le terme de « grand tactique ».
Le niveau stratégique correspond à la concentration de tous les moyens pour parvenir aux objectifs visés. A ce titre il considère un théâtre d'opération dans sa globalité et met ainsi en œuvre, en appui des moyens militaires, les moyens politiques, économiques, diplomatiques, sociologiques, religieux parfois, administratif souvent et tout autres permettant d'y parvenir.
Si l'on veut bien tenir compte de la création des grandes unités (divisions et corps d'armée) cette répartition de l'analyse me semble mieux convenir à l'époque. C'est aussi l'avis de Stéphane Béraud dont les ouvrages consacrés à la révolution militaire napoléonienne sont particulièrement instructifs et que je ne saurai trop ici recommander.
Je comprend fort bien que certains soient surpris et en contradiction avec moi lorsque j'évoque la progression des unités d'infanterie hors des routes. Nous avons grandi dans un pays où les nationales et départementales arborées voyaient régulièrement, été comme hiver, les voitures s'enrouler autour des platanes. D'aucuns nous expliquaient alors que c'était « la faute à Napoléon » qui pour donner de l'ombrage à ses troupes en avait ordonné la plantation. Vrai ou faux peu importe. Mais comment dés lors accepter que les troupes marchent en dehors de celles-ci ?
Thierry Melchior a donné la réponse. Il faut en effet distinguer la « marche loin de l'ennemi » de la « marche à l'ennemi ». La concentration des forces ne permet pas alors aux troupes à pied d'emprunter les routes déjà couvertes de convois divers**. Par ailleurs, le réseau routier n'est pas aussi dense que celui que nous connaissons aujourd'hui. Dés lors les voies carrossables doivent être réservée aux convois hippomobiles pour les raisons que j'ai précédemment détaillées.
Dans son analyse des délais générés par la hauteurs des cultures et la densité des haies c'est bien David C Hamilton-Williams qui suggère le premier que les troupes se déplacent hors des routes. La carte de Ferraris confirme la connaissance que nous avons du réseau routier tel qu'il existait à l'époque et en particulier l'ancienne voie romaine reliant Nivelles à Namur. Dés lors comment justifie-t-il le non recours à celle-ci pour rallier le champs de bataille de Quatre-Bras sinon par la connaissance qu'il a du fait que les fantassins dans un cadre « opératique » se déplacent non sur la route elle-même mais parallèlement à celle-ci.
Là où son raisonnement achoppe c'est quand il en donne pour preuve l'absence de troupes anglaises et hollandaises pourtant présentes le 16 juin à Quatre-Bras.
Ce que j'ai voulu relever au travers de mon premier «post» ce ne sont pas les conclusions concernant l'effet des cultures et des haies sur la vitesse de progression des troupes. Sur ce point nous sommes d'accord. C'est la méthode consistant à recourir à des assertions erronées pour parvenir à des conclusions, quant bien mêmes seraient-elles exactes Je pensais pourtant l'avoir démontré une première fois concernant les paroles qu'ils prête au général Foy alors qu'un témoin oculaire (digne de foi celui-là
) en occurrence le colonel Heymès, les restitue à son véritable auteur.
Si la division Chassé s'est dirigée plein nord vers le plateau de Mont-Saint-Jean et non à l'est vers le carrefour de Quatre-Bras c'est probablement du au fait que des quatre grandes unités stationnées à Nivelles le 15 juin au soir, il n'était pas possible que toutes rejoignent Quatre-Bras dans la journée du 16. La distance entre Nivelles et Quatre-Bras n'est que de 8 kilomètres. Ce n'est donc pas en empruntant la chaussée elle même que les troupes se sont dirigées vers le champ de bataille. Elles y seraient sinon toutes parvenues et bien plus tôt pour prendre part au combat.
Le cas de la division Cooke est tout aussi révélateur car en passant par Henripont et Ronquières, elle devait couvrir les 12 kilomètres séparant Braine-le-Comte de Nivelles, traverser cette dernière ville avant d'effectuer les 8 kilomètres la séparant encore de Quatre-Bras. La division a du forcer l'allure pour effectuer les 20 kilomètres la séparant du champ de bataille et s'engager à partit de 17 heures dans le bois Bossu pour en chasser les français. Cet exploit tient probablement au fait qu'il s'agit de la division des « guard », qu'entre Braine-le-Comte et Nivelles elle a du passer par les chemins peu ou pas carrossables, donc accessible à l'infanterie, couper au travers du bois de la Houssière et qu'à partir de Nivelles elle a pu emprunter soit la chaussée menant à Namur, libre alors de convois, soit les cheminements déjà tracés par les divisions Perponcher et von Alten. On ne peut exclure également qu'elle ait emprunté les deux mais ce dernier paragraphe n'est qu'une analyse toute personnelle.
S'agissant des marches elles se font sans formation et je crois que la pose des pipes est aussi le moyen de permettre au plus lents de rallier le gros de la troupe. Les formations quant à elles ne sont adoptées qu'à l'issue de la marche d'approche.
* Rien à voir avec l'opéra, l'opératique concerne les opérations à ne pas confondre avec l'opérationnel qui concerne un niveau de préparation des forces. Je sais bien que les anglo-saxons nous ont progressivement imposé ce terme. Sachons conserver la richesse de notre langue et laissons aux britanniques la pauvreté de la leur.
** pour mémoire une seule batterie d'artillerie à pied regroupe plus d'une trentaine de voitures et affûts